0

Du clé en main …

Lecture : 2 min.

Quand on dit quoi, où et comment faire ?

Eduscol, le ministère et ses services proposent de plus en plus souvent des guides, des séances d’écriture ou de lecture particulièrement détaillées, des outils et des modes d’emplois très précis …

Les enseignants, souvent, sur les réseaux ou dans les groupes d’échanges proposent ou recherchent des supports « clé en main », des outils faciles d’usages …

Lors des formations ou conférences, ces demandes d’outils pratiqués directement utilisables deviennent récurrentes, ce qui peut alors amener les formateurs à utiliser la langue de bois et répondre qu’il vaut mieux les construire ou alors essaient de vendre (littéralement ou pas) des ouvrages. 

Cela m’interroge désormais depuis un moment. Le métier évoluerait-il si rapidement ? Suis-je définitivement atteint par l’âge et nostalgique d’un autre temps ?

J’ai évidemment utilisé, usé et abusé des supports « tout faits », des manuels que je suivais, des programmations d’ouvrages. Il m’est arrivé plus que je ne l’avouerai de venir en classe avec aucune préparation et juste une page que j’ai photocopié le matin après mon café en salle des maîtres. 

Mais, j’ai souvent eu et j’ai encore du mal à faire quand on me dicte où, quand et comment faire. Souvent dans me dire pourquoi d’ailleurs. 

L’image que je me suis construit de notre professionnalité est celle d’un métier de conception et non d’exécutant. 

Les supports du web, les échanges de documents amènent les parents et d’autres à penser que ce métier est facile, que la formation est inutile, qu’il suffit donc de trouver comment « occuper » les élèves. 

Le confinement et l’école à la maison a pu renforcer chez tous cette idée. Les tablettes, les écrans et les logiciels éducatifs participent à ce phénomène. 

Ne laissons pas ce métier se transformer ou être transformé en exécution de taches standardisées. Ne nous laissons pas prolétariser.

0

Classe à distance

Lecture : < 1 min.

Dans un futur proche, les professeurs ne donnent cours que devant une salle vide et une simple webcam, retransmettant la leçon sur internet. Un professeur d’histoire va voir son quotidien bousculé quand une élève franchit la porte de sa salle…

AS IT USED TO BE (2013)
Réalisé par Clément Gonzalez.
Produit par le Collectif 109.

0

Numérique : prêts … à nous vendre aux gafam …

Lecture : 4 min.

Nous sommes prêts, le Ministère nous l’a dit ! Il l’a répété … encore et encore …

Atterré, j’apprends par la bouche de notre chef suprême la fermeture des établissements scolaires en même temps que l’ensemble de la population.

Le lendemain, un vendredi, le 13 mars, juste avant qu’élèves, enseignants, directeurs et famille ne s’éloignent de l’école pour une période inconnue, j’apprends qu’un outil informatique en ligne unique et salvateur est prévu pour remplacer les liens pédagogiques et affectifs qui existent entre nos élèves et leurs maîtres : “ma classe à la maison” du CNED.
C’est un dispositif que j’avais à peine survolé lorsque les premières écoles ont fermé. 
Désormais, il est donc obligatoire ! On doit l’utiliser ! Le lien sera donné aux familles dès la fin de la journée.

Les directeurs d’écoles sont réunis dans une petite salle du collège voisin, et, l’objet magique leur est révélé. Cela ressemble presque à une démonstration commerciale malgré la bonne volonté du présentateur. On leur demande donc de récolter les adresses électroniques des familles dans la journée, de prévenir les enseignants de l’usage impératif du site du Centre national de l’enseignement à distance.

Quelques explications techniques plus tard, je mesure la sidération de mes collègues : les questions fusent … les demandes affluent… d’autres sont encore hébétés de la fermeture qui s’approche, plus que quelques heures … Sur le temps de la pause méridienne nos directrices et directeurs devront répondre aux familles, réunir leur équipe, informer, apaiser … quelques uns ont les yeux brillants de larmes qu’ils retiennent.

Les questions techniques qui me sont posées au sortir de la réunion et dans l’après-midi me révèlent la fracture, le gouffre, que le numérique et ses usages avancées tels que présentés par “Ma classe à la maison” pourront catalyser chez nos collègues. 
Les questions me paraissent soudainement simplistes, si naïves, si essentielles pour eux …
Comment lire mon courrier électronique ailleurs que dans mon bureau ? Certains ne font pas la différence entre un logiciel de messagerie et un navigateur web. 
Comment envoyer un mail à plusieurs personnes ? Envoyer un mail en copie cachée ? Comment configurer une webcam ? Et comment scanner une page de manuel ? Comment faire un fichier pdf ? Comment communiquer un lien ? Les questions se multiplient et je sais que dès le soir même, le lendemain, les jours suivants, je me transformerai en hotline informatique …

Je suis un enseignant, maître formateur, un simple conseiller pédagogique. Je mène – entre autres – depuis près de 15 ans des formations auprès de mes collègues dont quelques unes sur les usages du numérique. D’autant que des TNI ont été installés dans toutes les classes de la ville dans laquelle j’exerce. Ces formations, ce sont les plus difficiles. Le public y est toujours particulièrement hétérogène. Du geek enthousiaste qui rêve d’un monde entièrement accompagné par le digital aux collègues qui ne connaissent de ce monde que leur smartphone et son usage simplifié, en passant par de vrais réfractaires. 
On a pu penser que ces jeunes enseignants, vous savez les petites Poucettes dont parlait Michel Serres, nés après Windows 95, aient pu, à travers leurs études et leur scolarité appréhender ces nouveaux outils et les maîtriser.

Cela est faux. Entièrement. L’école, notre École a failli !

Elle a failli. Cette École n’a pas su s’engager dans une continuité et une volonté pédagogiques en ce qui concerne l’enseignement et l’usage citoyen du numérique. Pas de volontarisme simplement. Les priorités, multiples, étaient ailleurs.

Elle a failli. Du plan « informatique pour tous », en passant par un B2i et un C2i inefficaces qui étaient pilotés et évalués au nombre de cases cochées, puis, en espérant que distribuer des TNI et des tablettes suffirait, en considérant l’enseignement scientifique comme du tiers temps, elle a réussi à participer, voire à renforcer à une véritable inculture numérique, à conserver les utilisateurs consommateurs dans l’ignorance de savoirs fondamentaux concernant leurs outils informatiques qu’ils considèrent donc comme magiques ; ils se retrouvent donc sous l’emprise des Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft …

Notre école a failli. J’ai pu croire, que les savoirs scientifiques et technologiques, les mathématiques, l’algorithmique à l’école allaient pouvoir, parce que les élèves devaient acquérir ces connaissances, infuser auprès de mes collègues, issus à plus de 80% de formations littéraires. Quelle erreur ! Les priorités étaient ailleurs. Pas en maths, pas en sciences, pas en technologie … mais lire, écrire, calculer et respecter autrui … avec, au gré des ministères successifs, de la culture, un peu, pas trop, et surtout pas scientifique …

Quelques jours, plus tard …

Le lundi 23 mars, après une semaine de pression sur les enseignants à utiliser le Cned, les ENT, … après avoir reçu un premier signe de libéralisme économique en permettant l’usage de plate-formes privées présentées comme « RGPD compatibles » sur lesquelles les enseignants se sont jetés, s’ils ne les utilisaient pas déjà en toute clandestinité puisque nous ne savions pas si cela était possible.

Les échanges entre collègues, entre familles et enseignants, entre professeurs et élèves, dans ce temps de confinement, se retrouvent alors via les plateformes de FB, de Google, … 
Les répertoires des téléphones de chacun sont laissés en pâture et partagés, les adresses et les numéros de téléphone des parents sont donnés.

Les éditeurs, les plateformes de soutien ne se trompent pas ; ils ouvrent leurs sites et atteignent ainsi un nombre de clients potentiels bien plus important. Et les enseignants se transforment en représentants de commerce en vantant leur mérite et en transmettant directement aux parents. Quoi de mieux comme prescripteur d’achat qu’un enseignant. 
Les familles nous font confiance. Les commerciaux aussi.

Si c’est gratuit, c’est vous le produit …
Si vous êtes le produit, ce n’est pas gratuit.
Si vos élèves sont le produit, les GAFAM vous remercient …

L’angoisse du numérique a cédé à cette frénésie d’usage des outils non institutionnels. 

Le principe de neutralité du fonctionnaire est allègrement bafoué.

Et il ne sera pas aisé de retrouver une certaine sérénité et une éthique professionnelle.